Passer le Canal du Panama en voilier
Traverser le canal de Panama n’est pas une mince affaire et beaucoup de travail est nécessaire en amont. Traditionnellement, les marins passent par des agents pour se faciliter la tâche mais il faut compter au moins 400 dollars en plus; nous avons donc pris le parti de nous débrouiller tout seul.
Tout d’abord, après avoir fais les démarches administratives, un admeasurer vient sur le bateau. Cet employé du canal vérifie les dimensions du bateau, si nos papiers sont en règle et ensuite, il nous donne les prochaines étapes.
Pour nous, pas de mesure du bateau (il faut dire qu’avec ses 11m70 de long pour 3m50 de large, Noddi est un poids mouche). Par contre, il nous rappelle que nous devrons trouver quatres amarres de 40m et deux équipiers supplémentaires. Ceux-ci s’appellent des line handlers (littéralement teneur de ligne) et ont pour utilité de participer aux manoeuvres. Lors du passage des écluses, le barreur manoeuvre le bateau et les quatres line handlers gèrent chacun une amarre.
L’admeasurer nous dit aussi que nos parbattages ne seront pas suffisants et qu’il nous faudra six pneus supplémentaires. Il faudra aussi démonter nos magnifiques panneaux solaires montés sur charnière car ils pourraient gêner les manoeuvres. À ce moment là, on se dit que le bateau doit pouvoir vraiment se faire brasser lors du passage des écluses.
L’admeasurer vérifie ensuite le réservoir d’eaux noires (fabriqué la veille par Emilien avec un jerrican) car c’est obligatoire. Il nous demande de confirmer que le moteur fonctionne et qu’il pourra faire avancer le bateau à plus de 5 nœuds pour être dans les temps. Il insiste pas mal sur ce point et nous comprenons qu’il faudra bien vérifier le moteur avant de partir.
Enfin, il nous rappelle que l’officier qui sera avec nous sur le bateau le jour j : l’advisor, devra manger chaud, plutôt du poulet et des féculents. Il devra boire dans des bouteilles d’eau scellées et qu’il appréciera un coca cola frais. Nous avions déjà lu qu’il était très important de bien nourir l’advisor car sinon la caution ne nous serait pas restituée dans son entièreté. Nous prenons donc note de tous les conseils qui nous sont donnés.
À la suite de son passage, la première étape est d’aller payer le passage. En tout, passage, caution et frais de sécurité compris, on en a pour 2 900 dollars (1 600 de passage, 1 100 de caution et 300 de frais de sécurité et autres). Une fois encore, ce n’est pas simple. La banque à laquelle nous devons payer permet seulement le dépôt et demande un paiement en espèces. Il faut donc aller dans une autre banque pour retirer au distributeur car le guichet n’est réservé qu’aux clients ayant un compte dans cette banque.
Enfin, le distributeur ne permet pas de retirer plus de 250 dollars; je fais donc 12 retraits d’affilés. Le sac est rempli de billets de 20 dollars et nous nous empressons de parcourir les 500m qui séparent les deux banques.
Une fois le paiement effectué, nous appelons un numéro le lendemain qui nous informe que nous passerons le vendredi 4 fevrier; nous n’avons donc plus que trois jours pour finir nos préparatifs.
Ces trois jours furent très intenses. La première chose que nous avons faite a été de mettre un post sur un groupe Facebook pour trouver nos line handlers. Le lendemain, nous échangions avec Andrew et Mike, deux anglais disponibles pour nous aider. Nous les rencontrons le soir même autour d’un barbecue et, en l’espace d’une demi heure, tout était calé avec eux.
Ensuite, nous sommes partis à la recherche de nos pneus. Emilien et moi avons inspecter le long des routes pour voir si il y en avait : en vain. Néanmoins, nous verrons nos premiers singes en liberté ainsi que des sortes de gros rats. Le port est entouré de forêt et la nature y est très luxuriante, si bien que les maisons et campements abandonnés ne mettent pas longtemps avant d’être mangés par la forêt.
Nous finirons par trouver nos pneus dans un terrain industriel : nous demandons aux gars présents si nous pouvons récupérer leurs vieux pneus et ils acceptent. Mieux même, ils nous chargent à l’arrière d’un camion plateau avec nos pneus et nous déposent au port : quelle chance !
Lucas les ramène au bateau en annexe après de longues péripéties et nous les installons le soir même avec Emilien.
Les jours suivants, nous trouvons nos amarres chez un loueur pour 80 dollars et la préparation du bateau avance bien. Néanmoins, nous prenons un bon coup de pression la veille car il faut qu’Emilien retourne à Colón pour acquérir le permis de plaisance (payant lui aussi) nécessaire pour faire la clearance de sortie aux douanes (le zarpe). Il en profitera pour finir les courses avant le départ.
Le jour J, tout ce qui devait mal se passer s’est mal passé. Déjà, le moteur de l’annexe est tombé en rade. Il a donc fallu aller avec Noddi à quai pour chercher les deux anglais. Mais si ce n’était que ça, ce serait simple ! Une patte de fixation du câble d’accélérateur du moteur de Noddi s’est cassée et nous ne pouvons plus accélérer à trois heures du départ. Or l’annulation revient à tout devoir payer de nouveau !
Nous réparons ça par ruse avec Emilien en deux heures. Pendant ce temps, Lucas qui s’était fait déposer à terre n’a pas le temps de finir les douanes, doit ramener l’annexe nous ayant été dépannée et perd son téléphone. À midi, nous étions déjà bien haut sur l’échelle des choses qui tournent mal.
Nous allons à quai à 13h et les anglais nous attendent, avec un employé du port. Il veut nous faire payer 25 dollars pour charger du monde à bord. Heureusement, en vrais gentlemen, Andrew et Mike paient pour nous et nous restons au port le temps que l’on finisse les douanes. Nous repartons 30 minutes plus tard et appelons les autorités du canal pour connaître notre heure de passage précise ; ce sera 18h.
Nous avons donc du temps devant nous pour décompresser et ça fait du bien.
À 17h45, l’advisor monte à bord. Il nous fait un bref topo et nous levons ensuite l’ancre. Les choses sérieuses commencent et nous entrons dans le chenal d’accès au canal. Nous naviguons entre les immenses navires de transport de marchandises, et ça fait tout drôle. D’autant plus qu’ils vont plus vite que nous et donc qu’ils nous doublent. Imaginez un peu, un bateau de 200 mètres de long, 30 de large et 30 de haut vous dépasser; nous sommes vraiment tout petits.
Nous atteignons les premières écluses deux heures après notre départ et l’impression d’être minuscule s’intensifie. Tout est surdimensionné. Les écluses font une vingtaine de mètres de haut et 1000 pieds de long. Tout ça multiplié par trois pour élever les bateaux 60 mètres plus haut sur le lac Gatún.
L’advisor nous fait un topo avant de procéder aux manoeuvres et nous informe que nous passerons en même temps qu’un pétrolier. Là on ne rigole pas car on se retrouve maintenant 30 mètres derrière un bateau qui fait 18 fois notre taille, entouré de murs de 20 mètres de haut.
Nous observons les locomotives sur les quais qui tractent et centrent au milieu de l’écluse le mastodonte qui nous devance. De notre côté, je suis à la proue avec Mike et Lucas à la poupe avec Andrew. Nous envoyons nos amarres à des employés du canal qui suivent l’avancée du bateau à pied. Une fois dans l’écluse, ils mettent chaque amarre sur une bite d’amarrage et nous reprenons à bord le mou.
C’est là que réside toute la réussite de la manœuvre : reprendre équitablement le mou des quatres amarres pour garder le bateau au centre de l’écluse. Si cela est mal fait nous risquons d’abîmer Noddi ou de nous blesser.
Après quelques minutes, les énormes portes en métal derrière nous se ferment et l’eau commence à monter. Ça tourbillonne autour de nous et les remous font bouger le bateau. Il faut être très vif pour reprendre le mou des amarres et pour faire les nœuds de taquet. La force déployée par les remous est incroyable si bien qu’il nous est impossible de tenir les lignes en direct.
Le niveau de l’eau monte vite et en 10 minutes nous nous retrouvons en haut du mur. La première écluse est passée mais la manœuvre n’est pas terminée. Nous sécurisons les amarres avant que le pétrolier démarre et avance en direction de la prochaine écluse. Le courant produit par les hélices est extraordinaire ! Le bateau recule sous son effet et les amarres se tendent. Noddi bouge beaucoup et les tourbillons dans l’eau ne nous rassurent pas.
Une fois les remous passés, les employés du canal retirent les amarres des bites d’amarrage et nous pouvons recommencer toute la manœuvre deux fois de plus.
Vers 23h nous sortons de la dernière écluse. Nous voilà enfin sur la lac Gatún ! Noddi navigue pour la première fois sur de l’eau douce et il est donc un peu plus bas sur l’eau que d’habitude. Nous avançons quelques miles jusqu’à arriver à une énorme bouée d’amarrage. C’est là que nous passerons la nuit.
Nous buvons une petite bière tous ensemble et l’advisor finit par partir. Nous ne traînons pas pour nous coucher car le lendemain le départ est prévu à 7h.
Nous découvrons le paysage au petit matin. L’eau est verte, trouble et la forêt nous entoure, deux raisons qui ne nous donne pas envie de nous baigner. En effet, le lac est aussi connu pour ses crocodiles de 6 mètres ! Nous nous abstenons donc d’une baignade en eau douce.
À 7h30, un nouvel advisor arrive à bord et nous partons. 6h de navigation nous attendent et il ne faut pas traîner. Comme hier, le traffic est dense et Émilien reste concentré sur la navigation. Les abords du lac sont très sauvages et Émilien aura la chance de voir un crocodile.
Nous nous retrouvons en début d’après-midi devant les écluses pour redescendre. Là, un catamaran et un voilier nous attendent car nous devons passer l’écluse avec eux à couple. Être à couple signifie que nous serons amarrés les uns aux autres. En plus de ça, un pétrolier sera cette fois-ci dernière nous dans les écluses : vraiment pas rassurant.
Avec le courant et le vent, la manœuvre pour se mettre à couple n’est vraiment pas facile, si bien que nous mettons près de une heure pour tous s’arrimer. Ensuite, nous manœuvrons à trois bateaux pour entrer dans l’écluse. Emilien est très concentré à la barre et écoute l’advisor qui gère le convoi tel un chef d’orchestre.
Nous sommes le bateau le plus à droite et nous devrons donc gérer ces deux amarres. La manœuvre est la même que la veille mais en sens inverse: nous envoyons nos amarres aux employés à quai et ils les mettent sur des bites d’amarrage. Une fois les bateaux bien centrés et amarrés, le pétrolier entre et les locomotives le calent. Les portes se ferment et le niveau de l’eau commence à descendre. La manœuvre est bien plus douce par rapport à la veille et tout se passe bien. Une fois en bas, la porte devant nous s’ouvre et rebelote.
Après la troisième porte, nous voyons pour la première fois le Pacifique; l’émotion est intense. Nous nous séparons des autres bateaux et avançons quelques miles de plus pour passer le port commercial et arriver au Balboa Yacht Club, port de plaisance d’arrivé du canal. Nous faisons nos adieux à nos acolytes anglais et à l’advisor pour enfin se poser entre nous. Nous sommes remplis d’émotion car le Pacifique ouvre une nouvelle partie du voyage.
Histoire à suivre dans : Explorations entre ville Panaméenne et îles paradisiaques
Pierron D. et JM.
février 21, 2022Bravo à tous les trois ! Le récit de Léo nous a donné la chair de poule, et votre émotion est partagée…. Bonne continuation et à bientôt au Costa Rica, pour d’autres aventures moins stressantes nous l’espérons. Nous pensons bien à vous, bises à vous trois.
Carpentier Claude/Nicole
février 21, 2022Oui pas une mince affaire ce canal de Panama. Cela restera marquer en votre mémoire. Bravo les garçons pour votre débrouillardise à toute épreuve. D’autres épreuves plus joyeuses vous attende au Costa Rica. Bises à vous trois et encore merci a toi Léo pour ce partage.
Catherine M.
février 21, 2022Infiniment grand, infiniment petit même sur le canal de Panama. Gold job ! Nouveau challenge relevé, Vous avez assuré ! Bravo 🙂
Monique et Christian
février 20, 2022Très impressionnant, ce passage du canal de Panama ! Merci de nous faire partager vos émotions. Bises à vous trois et à bientôt au Costa Rica…