Carnet d'expédition

Le grand écart Panaméen

📍 Colón 9.353754, -79.9009973

À Colón, nous ne passons pas inaperçu. La plupart du temps, le gens qui nous interpellent dans la rue nous prennent pour des américains et nous parlent en anglais. À chaque fois, nous leur répondons en espagnol, ils sont alors surpris à coup sûr. Emilien parlant couramment espagnol, Léo de manière scolaire et Lucas basiquement, nous pouvons profiter d’échanges très intéressant avec les locaux. La barrière de la langue étant franchie, une certaine connexion se crée.

Ici, nos objectifs etaient d’entamer les démarches pour le canal, mais aussi de nous confronter à la culture panaméenne. Finalement, quoi de mieux pour rencontrer une culture que d’aller au marché ?

Nous nous retrouvons donc au cœur de la ville, dans l’artère principale face à un grand bâtiment. Quelques stands sont à l’extérieur mais le gros du marché est couvert. Devant celui-ci, de nombreux bus multicolores s’arrêtent pour déposer les gens.

Bus déposant les citoyens au marché

Ces bus sont incroyables ! Il faut imaginer que c’est un peu la compétition à celui qui sera le plus décoré: tags et peintures extravagantes, ajout de girophares et de lumières, d’énormes pots d’échappement en acier inox chromé qui sortent à l’arrière et qui font un bruit sorti des enfers… plus c’est visible, mieux c’est.

Nous ne nous laissons pas intimider par l’émulsion qui nous entoure et entrons dans le marché. À l’intérieur, les halles sont serrées et les stands de fruits et de légumes bien garnis. Nous y retrouverons des produits similaires à ceux que nous trouvions en Martinique (tomates, concombres, chayottes, énormes avocats, …).

Très vite, nous comprenons que le marché est divisé en deux parties : celles des primeurs et celles des poissonniers, bouchers et tripiers. Cette seconde partie est beaucoup plus atypique, vraiment différente de ce que l’on connaissait. Il y a beaucoup d’abats : têtes de cochon, tripes, rognons, … Il est vrai qu’en France, ce patrimoine culinaire se perd mais ici, il est clairement au centre de leur alimentation.

Nous ne restons pas longtemps dans cette partie du marché, seulement le temps d’acheter des provisions pour le bateau.

Globalement, les produits que nous avons achetés au marché étaient super bons ! Les gens eux aussi étaient très amicaux et bienveillants; jamais nous ne nous sommes sentis en danger.

Visite du Mercado Público de Colón

C’est avec cette première expérience que nous avons entamé la visite de la ville. Cette fois-ci, nous décidons de visiter plus largement et nous nous retrouvons dans les quartiers populaires. Là-bas, nous n’en menons pas large. Les bâtiments sont extrêmement abîmés et les habitants nous épient. On nous rappelle souvent que c’est dangereux et même que “ce n’est pas un quartier pour les blancs”.

Nous sortons vite de cet endroit pour nous retrouver dans un bar, à l’arrière d’un hôtel qui devait être un ancien Palace. L’ambiance est très étrange car l’hôtel New Washington semble abandonné mais du personnel y travail. Les jardins ne sont pas entretenus, les peintures sont décrépites et globalement tout est très délabré. 

Hôtel New Washington il y a quelques années – ©SandySB, CC BY-SA 3.0

Par rapport au sentiment d’insécurité, une rencontre va complètement changer notre perception : Rasta Nini.

Mercredi, alors que j’étais en train de faire des photos, Lucas aborde un homme à l’apparence peu commune. Il doit avoir la soixantaine, environ 1m75, plutôt maigre, turban sur la tête pour cacher ses dreadlocks, une dentition très douteuse et six doigts à une main.

D’office, l’homme se présente comme le fondateur de la culture Rastari dans toute l’Amérique latine. Il nous raconte l’histoire des bâtiments qui nous entoure, de la ville et du pays. Il en connaît long sur ces sujets et nous essayons de le comprendre (chose difficile lorsqu’il nous parle espagnol, anglais et en patois rasta le Iyaric). Il n’oublie pas de se revendiquer antipolitique expliquant qu’ici : tout le monde le connaît. 

Rastanini “One love“

De prime abord, nous avons un peu de mal à le croire mais lorsqu’il nous fait faire le tour de la ville, nous nous rendons compte qu’il n’exagérait rien. Dans la rue, tout le monde le salue. Rasta Ninni nous présente comme ses frères de France : “hermanos de Francia”. Nous rencontrons de nombreuses personnes, du politique au vendeur de glace sur le bord de mer. Les personnes dans la rue semblent intriguées par notre petit groupe éclectique et ce petit manège durera jusqu’en début de soirée.

Marchand de glace au Parque de la Juventud

C’est à ce moment-là que notre histoire avec Rasta Ninni va prendre un tournant. Nous partons tous les quatre à la recherche d’un coin où manger mais Rasta Ninni avait prévu autre chose. Il nous emmène au Vatican, le ghetto le plus chaud de Colón. Nous nous retrouvons donc de nuit, entourés de grands immeubles complètement insalubres. Les mamas discutent en bas des bâtiments dans la rue et les enfants jouent au milieu de la route. Les égouts se déversent directement dans le caniveau et il y a beaucoup de déchets partout.

Image du Vaticano – © Panamaamerica

Notre ami marche sur la route et nous le suivons de près. Les groupes nous épient et les personnes aux fenêtres des immeubles nous regardent attentivement. La situation est très oppressante.

Malgré cela, Rasta Ninni semble bien connu et respecté ; les gens lui disent bonjour et il continue de nous présenter comme ses frères. Tout semble sous contrôle et nous traversons le ghetto jusqu’à une maison où son neveu lui donnera de la marijuana.

À la suite de ce passage, nous le suivons en direction de Playita. Mais attention, là on ne parle pas de plage mais d’un autre ghetto. Celui-ci nous le reconnaissons puisque c’était celui où nous étions passés la veille (le fameux quartier pas pour les blancs). Encore une fois, avec Rasta Ninni à nos côtés, tout est différent. Nous traversons le pâté de maison sans encombres pour arriver à un barrage militaire qui gère l’entrée d’une zone portuaire. À l’intérieur, une maison de pêche et un bidonville. Nous nous rapprochons de la maison et Rasta Ninni nous invite à rentrer.

À l’intérieur quatre rastafaris nous accueillent. Chacun d’entre eux est en train de rouler un joint ou de fumer. À son tour Rasta Ninni les rejoint. Il faut bien comprendre que dans la culture Rastafari, la marijuana n’est pas du tout considérée comme un stupéfiant. Le fait de fumer est un moment de recueillement, un peu comme une prière. Ce moment est sacré et nous sommes extrêmement reconnaissants de pouvoir vivre ça avec eux. Nous sommes au cœur de la culture rastafari et Rasta Ninni nous fait l’éloge de ce mouvement. Ce moment est hors du temps.

Plus tard, nous irons finalement acheter à manger et notre ami nous raccompagnera à l’hôtel. Après une journée si pleine, nous ne mettrons pas longtemps à nous endormir.

Le lendemain, nous reprenons nos tâches habituelles: avitaillement au marché et au supermarché. Vers 14h, nous retournons à la marina en taxi.

Le reste de la semaine sera dédié à la préparation du bateau en vue de traverser le canal de Panama.

Affaire à suivre dans : Le Passage du Canal du Panama en Voilier

3 Commentaires d’article de blog
  • Guillet Isabelle
    février 18, 2022Répondre

    Bonjour les garçons
    Merci pour ces récits passionnants qui nous donnent l’impression d’y être tellement les détails sont précis et nombreux.. Vous ne serez plus les mêmes au retour c’est sûr. Vos copines pourront vous confier la cuisine et la plonge sans soucis. Et si les courses ne sont pas faites et si rien dans le frigo vous trouverez des solutions.. !!! Vous aurez des souvenirs plein la tête. Vous aurez perfectionné vos compétences en anglais,,espagnol. Et rencontre des gens étonnants…et vu des paysages grandioses… vous semblez bien vous connaître… et bien vivre avec vos différences qui font que vous vous completez bien dans cette aventure collective. Voilà ce que vos témoignages m’inspirent. Merci pour ces partages divers et variés que j’ai pris enfin le temps de lire..

Laisser un commentaire