Une bataille en mer
Douzième jour de transatlantique 17° 49.472' N 31° 22.608' W
Chez Jybe, nous avons décidé de tout vous raconter et certaines histoires valent le détour. Après les deux articles de la traversée, il nous semblait intéressant de revenir sur une anecdote particulièrement croustillante. Le texte qui va suivre a été écrit par Léo le 21 novembre. Il y raconte à sa famille une partie de pêche qui nous aura tous les trois marqués.
“Je prenais mon quart de 17-20h quand d’un coup, j’entends le criquet de la canne sonner. Émilien était dans la cuisine et Lucas écrivait à Lauriane. Je reconnais immédiatement ce son. Là je regarde la canne ; elle est pliée en deux et le fil est tendu comme une arbalète.
Soudain, je le vois. Il saute comme pour me saluer. Un énorme poisson, jaillit de l’eau paisible, 40 m derrière le bateau. Coincé à tenir la barre, je crie à Émilien “ça mord !” il comprend immédiatement que c’est sérieux. Il se rue sur la canne et la libère de son support. À cet instant, la bête tire violemment et j’entends le moulinet qui s’emballe. Émilien a du mal à tenir la canne de ses deux mains.
Voyant que la situation est tendue, je lâche la barre prenant la précaution de la bloquer avant. Je me mets avec Émilien à l’arrière du bateau et je commence à l’aider ; le combat est lancé. La canne ressemble à une virgule et le fil est aussi tendu qu’une corde de guitare. Émilien m’annonce aussi que le moulinet est abîmé. Une vis (forcément importante) s’est désolidarisée de l’ensemble et est tombée en mer. Nous arrivons tout de même à quatre mains à reprendre du fil.
Le combat n’est pas inégal. La bête se déchaîne et tire sur le fil comme pour l’arracher. Nous la revoyons enfin. Alors que nous imaginions ce que nous avions au bout de la ligne, elle surgit. Une dorade coryphène! Je la reconnais immédiatement. Il faut dire que ce genre de poisson est reconnaissable ; son corps est long et plat et sa tête bombée.
Ce n’est pas un poisson profilé comme une balle, mais plutôt comme un sous-marin soviétique de la seconde guerre mondiale. Il y a aussi ces couleurs. Le corps d’un vert étincelant, vif, tonique, presque acide. Ses nageoires sont jaunes et un magnifique dégradé lie le tronc des extrémités. Celle-ci est énorme, environ 1,50 m et je m’étonne de la taille de l’animal.
Depuis plusieurs minutes maintenant le combat fait rage. Nous tenons bon et profitons de chaque baisse de vivacité de l’animal pour reprendre du terrain. Nous remontons centimètres par centimètres ce monstre des océans. La tâche n’est pas simple ; avec le moulinet cassé il faut carrément tourner à la main la bobine de fil. Émilien et moi commençons à avoir les muscles qui tétanisent et Lucas nous vient en aide pour nous donner du mou sur la ligne.
Finalement, nous arrivons à rapprocher l’animal à quelques mètres derrière le bateau. Nous la voyons, fière et hargneuse. Avec la surface de l’eau, nous avons l’impression de la voir en double. Non, plutôt en triple. C’est alors que nous nous rendons compte que ce mirage n’en est pas un ; la dorade est accompagnée de ses congénères. Une petite dizaine de poissons suivent et entourent le bateau. Le spectacle est beau et impressionnant.
Ces poissons ne semblent pas là par soutien, mais plutôt pour nous défier. Certains jaillissent de l’eau à l’horizontale et frappe les vagues avec leur queue lors de la retombée. Ils nous montrent leur force et leur splendeur. Ils nous rappellent le côté sauvage d’une nature que nous essayons de dompter.
Galvanisé, je m’empare d’un harpon de chasse sous-marine. Les poissons sont là, un mètre derrière le bateau, Émilien n’est pas sûr de remonter notre adversaire et l’envie de pêcher un de ses monstres s’empare de moi. Nous imaginions déjà les festins à venir.
Sur cette pensée, j’arme le fusil. Je saisis la crosse de l’arme fermement et je vise un poisson. Pendant un cours instant je me demande si je vais pouvoir le faire. Je place mon doigt sur la détente et le coup part. Manqué. Je réarme le fusil et je réitère l’essai. Manqué. Comme pour me narguer, une dorade vient faire mine de manger le bout du harpon. Je comprends que je n’en aurais pas comme ça. Les animaux se tiennent à distance sous l’eau et la diffraction rend la visée hasardeuse.
Nous reprenons donc notre pêche traditionnelle. La dorade est toujours là, mais ne faiblit pas. Elle est maintenant à 3 mètres derrière le bateau. Nous voyons le bas de ligne. Nous savons que ce moment est critique, car plus le fil est court et plus il risque de casser. De plus, nous ne savons pas comment remonter la bête. Déjà, il serait impossible de la soulever avec la canne hors de l’eau sans casser la ligne.
Je me mets sur la plate-forme arrière avec l’intention de l’attraper. La manœuvre semble impossible tant l’animal est grand et tant il se débat. Il faudra être rapide et le saisir de touts mes forces. En se débattant, la dorade me donnera probablement des coups. Si elle en a, peut-être que ses épines dorsales se planterons dans mes bras et dans mon torse. Il ne faudra pas lâcher. Pas après un si long combat.
C’est le moment. Je saisis la ligne pour tirer l’animal vers moi. La manœuvre est délicate et le poisson semblait le savoir. D’un habile coup de nageoire, il passe de tribord arrière à bâbord arrière. À ce moment, je suis en travers de la ligne et j’essaye de la faire passer d’un côté de l’autre, mais ce qui devait arriver arriva : la ligne casse. Émilien pousse un cri de rage et moi, je reste abasourdi à regarder l’animal s’en aller victorieux. La ligne est cassée, le lien entre l’animal et nous a rompu, le combat est terminé.
Notre espoir lui est toujours présent. Nous sommes encore entourés du banc de dorades et Émilien ne l’a pas oublié. Compulsivement, il ouvre la boîte à pêche et sors un nouvel appât et un nouveau bas de ligne. Nous remontons notre ligne en moins d’une minute trente. Motivés, nous remettons l’appât à l’eau ; ce soir, nous mangerons du poisson.
Il n’aura pas fallu longtemps avant qu’un nouveau combat débute. Les poissons jaillissaient de l’eau à la vue du leurre. Le moulinet étant dans un mauvais état, nous laissons filer pas mal de ligne lorsque la dorade mord. Ce n’est pas grave. Fort de notre expérience précédente, nous décidons de changer de stratégie et de fatiguer le poisson.
Tout comme ses congénères, l’animal est vif. Il saute, plonge et se débat comme un démon. De notre côté, l’excitation se marie avec la prudence. Nous remontons lentement et difficilement chaque centimètre de ligne. Le combat sera long et pour nous aider, Lucas met d’habiles coups de barre pour détendre la ligne lorsque nous la remontons.
Après de nombreux efforts, l’animal est à une dizaine de mètres de nous. Le soleil commence à être bas et la lumière changeante nous permet de redécouvrir les couleurs de l’animal. Il nage en surface et laisse dépasser sa nageoire caudale jaune vif qui tranche avec le bleu profond de l’océan. L’animal est fatigué. Nous remontons la ligne et il ne se retrouve plus qu’à deux mètres derrière nous. La dorade semble morte, mais nous savons que c’est un subterfuge : dès que je m’approcherai d’elle, elle se débattra et cassera la ligne.
À cet instant nous vient une idée ; et si nous utilisions un sac à voile comme d’un filet ? Ces sacs sont assez grands pour pouvoir y rentrer le poisson d’un mètre cinquante et sont en tissus et en filet, ce qui laissera s’échapper l’eau. L’animal étant fatigué en surface, je glisserais le sac par-dessous et je tirerais vers le haut pour le coincer. L’idée paraissait bonne.
Je me saisis d’un sac et me place sur la plate-forme. Je jette le sac à l’eau en le tenant fermement et là, surprise, l’animal qui n’était visiblement pas mort s’éloigne du sac. Rien de vraiment étonnant. J’essaie de faire couler le sac pour le passer sous le poisson, en vain. La dorade, maligne comme un singe se faufile sous le sac. La ligne tendue frotte sur la fermeture éclaire et comme dans un mauvais film, se rompt.
Tout cela s’est passé en moins de cinq secondes. Cette fois-ci c’est moi qui cris de rage. Je ne vois même pas le poisson partir. Je ne vois plus de poissons autour du bateau. Nos espoirs de poissons frais semblent s’être envolés aussi rapidement qu’ils sont arrivés. Une dorade saute au loin comme pour nous narguer. Nous remontons une énième ligne et dans un mouvement de dernier espoir laissons filer l’appât.
Quelques instants plus tard, ça remords fort. Très fort. Si fort que l’hameçon se décroche et s’envole. Il monte au ciel et fuse à toute allure en notre direction. Il passe au-dessus de nos têtes et se prend dans un hauban. En une seconde, le poisson en plastique lesté d’environ 250 grammes venait de voler une trentaine de mètre pour nous revenir sur le pont. C’en était trop ; la nature était plus forte que nous trois. Ce n’était pas notre jour et ce dernier événement nous le montrait.
Nous étions dépités, mais exalté de ce qui venait de nous arriver. Nous avons dénoué la ligne et l’avons remise à l’eau car “on ne sait jamais” mais sans grandes convictions. La canne a été remise sur son support et je suis retourné à la barre. Nous avons mangé le repas préparé par Émilien en imaginant ce que nous aurions fait avec autant de poisson. Étrangement, nous ne gardions pas le goût amer de la défaite, mais plutôt celui de l’excitation et de la revanche. Nous aurons notre revanche. Sûr de cela, nous imaginons d’autres stratégies pour sortir l’animal de l’eau. C’est sur cette vision que nous sommes allé nous coucher.”
Depuis cette aventure, nous nous sommes équipé d’un matériel de pêche plus adéquat. Nous avons reçu une nouvelle canne de la part de la famille de Nathanaël et nous avons même eu en cadeau une gaffe qui nous permettra de remonter plus facilement les poissons à bord. Apparemment, la mer des caraïbe et l’océan pacifique sont des eaux poissonneuses ; nous avons hâte de vérifier ça.
andre
février 10, 2022Excellent, j’attends avec impatience la suite…..merci
Carpentier Claude/Nicole
janvier 23, 2022Leo,tu es bien parti pour écrire des romans d ‘aventure.On s’y croirait.C’est bien de nous faire rever.On attend la prochaine prise avec votre nouveau matériel.Bonne navigation vers le canal.