Carnet d'expédition

Transatlantique – Partie 2


La vraie transatlantique 

Du large du Cap Vert 15° 10.952' N  32° 42.139' W à la Martinique 14° 27.575' N  60° 52.099' W

Nous voilà enfin dans les alizés. Nous découvrons ce vent mythique qui traverse l’Atlantique d’Est en Ouest et qui permet aux voiliers de traverser cette étendue d’eau. Nous nous retrouvons sur les traces de Christophe Colomb et nous découvrons les conditions météo dont tant de personnes nous avaient parlé.

Tout d’abord le vent : il est constant et souffle jour et nuit entre 15 et 20 noeuds. Nous avons tout de même quelques jours avec des rafales à plus de 25 nœuds et nous sommes obligés de réduire la voilure. Nous découvrons ensuite la houle d’Atlantique. Les vagues sont bien formées et nous arrivent dans le dos; il nous arrive même d’avoir des creux de 3m.

Tout du long de la traversée les températures n’auront cessées d’augmenter malgré les quelques grains nous ayant surpris vers la fin du voyage. 

Le bateau avance bien avec une météo comme celle-ci, nous retrouvons une moyenne plus proche de celle estimée : 110MN par jour.

Néanmoins la navigation se fait aussi plus compliquée et plus éprouvante physiquement. Avec la houle, le bateau recommence à gîter : il bouge, vit et nous suivons son rythme. Il devient difficile de lire et d’écrire. Faire la cuisine reviens à faire un numéro d’équilibriste. Dans ces conditions là, chaque effort nous demande plus de concentration et nous nous retrouvons donc plus rapidement fatigués. Malgré cela, le moral reste au beau fixe et nous parions tous les jours sur la distance que l’on parcourera dans la journée.

Nous profitons aussi de la mi-transatlantique et de l’anniversaire de Lucas pour s’offrir “nos repas plaisir” : confit de canard de mon père et 3kg de cassoulet. L’apparition des sargasses et des pailles-en-queue nous rappelle aussi que nous nous rapprochons de la Martinique.

Plat plaisir n°1

Nous terminons cette transatlantique avec un problème mécanique : une drosse de safran permettant de barrer le bateau s’est cassée. Nous réparons ça avec un bout (une corde) de fortune qui tiendra durant les 300 derniers milles nautiques qui nous séparent de la terre. 

À l’arrivée après 28 jours de navigation, nous arrivons à pêcher notre premier poisson de la transatlantique : un barracuda qu’Emilien cuisinera le soir même.

Nous arrivons le 7 décembre au coucher du soleil dans la baie du marin 14° 25.924′ N 60° 53.629′ W.

Pour conclure, voici le ressenti de chacun de nous à l’issue de cette transatlantique :

Léo CARPENTIER

Personnellement, j’ai trouvé que le début de la transatlantique était très difficile à vivre. Il m’a fallu plusieurs jours pour m’habituer à ce nouveau mode de vie. Il faut bien s’imaginer que du jour au lendemain, nous nous sommes retrouvés seuls, entre nous, entouré d’eau.

Après ce temps d’adaptation, j’ai vraiment apprécié la première partie du voyage. Le calme, le repos, la lecture, les discussions,…ça m’a vraiment plu.

Les messages échangés avec la famille, ma copine et mes amis via le téléphone satellite m’ont aussi beaucoup aidés à m’adapter à la vie en mer.

Sur la deuxième partie, la fatigue et les conditions de mer ont compliqué la vie à bord et c’était moins agréable. J’étais aussi très impatient d’arriver ! Néanmoins, je suis très content de ce trajet puisqu’il n’y a jamais eu de conflit. La vie à bord n’est pas facile mais nous avons toujours été là les uns pour les autres et c’est le plus important à mes yeux.

Ce que j’ai préféré durant la transatlantique? Sentir l’odeur de la terre à l’arrivée après un mois d’embruns

Lucas NICOLAS

N’étant pas marin pour un sous et n’ayant navigué qu’aux côtés d’Emilien et Léo sur une traversée de Toulon vers la Sardaigne sur un petit voilier de régate (un J80) la transatlantique fût un grand saut dans le vide pour ma part.

Cette expérience incroyable m’a permis de comprendre ce que le « temps long » signifiait. Pour moi, les journées se ressemblent et s’additionnent. Il est difficile de prendre le rythme, il me faut bien une semaine pour adapter mon corps à cette nouvelle façon de vivre. Une fois le rythme pris, la fatigue ne se fait que très peu ressentir. 

Je prends du plaisir à la barre de Noddi, apprenant à mieux connaître ce vieux navire et toutes ces subtilités, ces qualités et ces défauts. 

L’apprentissage se fait au fil des jours et je prends beaucoup de plaisir à m’améliorer. Les mécanismes se crée, je me sens de plus en plus à l’aise sur le bateau. La réaction laisse plus de place à l’anticipation, c’est agréable.

Parfois l’ennui peut venir prendre une certaine place lors des quarts nocturnes et que tout le monde part se reposer, je me retrouve seul entouré de milliers d’étoiles qui éclairent les vagues encerclant le voilier. Les musiques et podcasts viennent occuper les pensées et font beaucoup de bien. 

Je retiens des moments de convivialité, une intelligence de groupe qui laisse place au respect des espaces de chacun, des moments plus difficiles et de nombreuses couleurs habillant le ciel qui viennent éclabousser la rétine de leurs splendeur.

Le pacifique est une étape que j’attends avec beaucoup d’impatience, traverser cet océan sera un accomplissement dans ma petite vie ! 

Mais d’abord place au Costa Rica !

Emilien Pierron

Sauter dans le vide retenu par un élastique qu’on a fabriqué soi même, voilà ce que représentait la transatlantique pour moi, capitaine de Noddi.

Les quelques semaines de navigation précédentes m’avaient permis de bien appréhender le bateau, de peaufiner certains réglages et d’apporter certaines améliorations.

Le comportement du navire lors d’une tempête en Méditerranée a aussi renforcé ma confiance en ce voilier construit il y plus de 50 ans. Enfin, en l’absence de pilote automatique et de régulateur d’allure, l’équipage a progressé vite dans la tenue du navire et la réalisation des manœuvres.

Néanmoins, parcourir 5000 km à la vitesse d’un coureur sans pouvoir compter sur quiconque a de quoi intimider. C’est donc avec l’esprit chargé de responsabilités que je mets le cap vers l’ouest. Durant les premiers jours, beaucoup de questions m’habitent : quel cap suivre pour aller le plus vite possible sans sacrifier trop de confort ? Quelle configuration de voiles adopter ?

À cela se rajoute l’état de Léo qui m’inquiète sincèrement. J’imagine même qu’il va me demander de descendre au Cap Vert.

Finalement il se ressaisi d’un coup et mes inquiétudes s’apaisent. 

Les conditions sont plutôt calmes et malgré la distance à la côte qui grandi nous sommes tranquilles. Lorsqu’au bout de 15 jours les Alizés reprennent, le plus dur est de garder la rigueur du départ : faire le tour du pont tous les jours pour vérifier le matériel, regarder la météo, prendre des ris… Anticiper plutôt que subir. 

C’est grâce à ce sérieux que nous avons pu détecter et résoudre certains problèmes avant qu’ils ne deviennent gênants : levier d’accélérateur du moteur cassé (réparé avec une poignée de porte), voie d’eau dans la cale à cause d’un collier cassé, panneaux solaire défectueux (un câble a fondu à cause de l’intensité trop élevée sous les tropiques), lumière du compas débranchée… 

À notre arrivée en Martinique, nous sommes alors à 5 miles des côtes, la barre à roue casse pendant que nous zigzaguons entre les filets dérivants, sous voiles, dans force 7. Nous installons vite la barre de secours, puis très vite décidons d’affaler. Le moteur démarre parfaitement et tout fonctionne bien, l’équipage reste concentré jusqu’au bout. Je suis persuadé que si nous n’avions pas entretenu le matériel durant la traversée l’issus aurait été différente. 

C’est n’est qu’une fois au mouillage dans la baie du marin, immobile sous les étoiles et sur un lagon, que je réalise que nous venons de traverser un océan. L’élastique évoqué au début a tenu !

Comme le disait Éric Tabarly : ”naviguer est une activité qui ne convient pas aux imposteurs. Dans bien des professions, on peut faire illusion et bluffer en toute impunité. En bateau, on sait ou on ne sait pas.”

11 Commentaires d’article de blog
  • stéphane
    septembre 20, 2023Répondre

    Merci pour les photos et ce récit très intéressant.
    Les infos sur les alizés et la hauteur de vagues sont très utiles.

  • stéphane
    juillet 28, 2022Répondre

    Merci pour vos témoignages.
    Bel article!
    Bravo

  • Alain MATESI
    janvier 23, 2022Répondre

    Salut les Mecs ! Emilien, Léo, Lucas
    Les projets appartiennent à ceux qui les font vivre !
    Ce voyage par delà les Océans est un véritable voyage intérieur, il va vous permettre de mieux vous connaître et de mieux affronter les difficultés de la Vie d’un Homme.
    N’oubliez jamais que vous êtes là, l’un pour l’autre et que les petites chamailleries insignifiantes ne doivent pas gâcher l’histoire que vous êtes en train d’écrire et les souvenirs précieux que vous raconterez à ceux qui vous sont les plus proches.
    Vous ferez vivre par procuration, cette expérience à tous ceux qui restent à quai…
    Face à l’adversité vous faites preuve de courage, de détermination et de créativité, tous les ingrédients pour écrire une formidable histoire qui va vous suivre toute votre vie.
    Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage… Kalos Kagathos !
    Alain MATESI Pdt de CoLLecT-IF environnement

  • Carpentier Claude/Nicole
    janvier 22, 2022Répondre

    Bravo les garçons pour ces résumés de voyages qui nous font révés . Continuez a nous alimenter de vos témoignages et restez souder dans tout les moments de vie de marin. A bientôt pour le Costa Rica .Papy/Mamie Bises

  • Monique et Christian
    janvier 21, 2022Répondre

    L’humilité et la sincérité de vos témoignages nous touchent beaucoup.
    Chacun de vos commentaires témoigne de votre solidarité et de la complémentarité de vos différences.
    Tout cela laisse augurer une suite riche et passionnante que nous sommes impatients de découvrir.
    A bientôt au Costa Rica ( en principe).

  • A M
    janvier 21, 2022Répondre

    Chacun de vos témoignages sont incroyable à découvrir, ce que vous avez vécu, ce que vous avez ressentis, chacun de vous arrive à retranscrire cette partie de votre aventure de façon à ce que nous, lecteurs arrivons à entrevoir la beauté de votre voyage.
    Nous sentons que vous évoluez chacun à une vitesse différente mais que vous restez soudé face à l’adversité et les épreuves qui s’additionnent au fil du temps.
    C’est toujours un immense plaisir de lire vos articles, vos découvertes, vos impressions.
    Hâte de lire la suite, à bientôt et bon courage.

  • Laura Mlt
    janvier 21, 2022Répondre

    Super article les garçons ! Merci de nous avons partagé votre ressenti à chacun lors de cette traversée. Cela prouve votre confiance et nous permet d’imaginer l’inimaginable … ce grand saut dans le vide! Nous sommes très très fières de vous.

  • Vibert
    janvier 21, 2022Répondre

    Bravo les gars pour cette première partie bien apréhendée et merci pour vos ressentis. Bon courage pour la suite.

  • Fanny
    janvier 20, 2022Répondre

    En plus d’être des navigateurs, vous êtes des poètes ! Merci de nous faire partager vos émotions ! À bientôt pour la suite !

  • Nicolas
    janvier 20, 2022Répondre

    Merci à vous pour ce très beau récit
    Vivement la suite

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